Archives et cinéma documentaire : entretien avec Jean-Marie Montangerand

Jean-Marie Montangerand, réalisateur de documentaires, projettera le jeudi 2 novembre prochain son dernier film Fernand Pouillon, l'architecte le plus recherché de France au Centre Pompidou. L’histoire d’un grand architecte du XXème siècle incarcéré suite à un scandale immobilier. L’occasion d’interroger le cinéaste sur son travail de recherche d’archives et la construction de son récit documentaire.

Quelle est la genèse de votre film Fernand Pouillon, l'architecte le plus recherché de France ?

Tout a commencé aux Rencontres de la photographie à Arles il y a quelques années. Une exposition était dédiée aux hôtels et complexes touristiques conçus par Fernand Pouillon en Algérie. Je ne connaissais pas l’architecte. Son travail m’a interpellé et donné envie de me renseigner sur ce personnage. Suite à cette exposition, j’ai donc acheté le livre que Fernand Pouillon a écrit en prison –  après avoir été arrêté pour détournement de fonds et abus de biens sociaux. Il a finalement été amnistié par Georges Pompidou. Un jour, en me rendant chez mon producteur, j’ai vu le même livre de Fernand Pouillon sur son bureau. Il s’intéressait aussi à cet architecte. Nous avions un projet de film commun. Il ne restait plus qu’à le mettre en œuvre.

Le montage constitue une étape déterminante de la construction du récit, comment avez-vous pensé le déroulement du film ?

Fernand Pouillon était en décalage par rapport aux architectes de son temps. Il dénonçait notamment les abus de l’époque : la dégradation de la qualité des nouvelles constructions, les logements de plus en plus petits donnant l’effet de cages à lapin… Lui aussi concevait des grands ensembles mais avec des matériaux de qualité et une esthétique soignée. Je souhaitais que le dispositif du film rende compte du décalage entre le travail de Fernand Pouillon et celui de ses confrères. Pour cela, nous avions accès à un corpus d’images très varié : des archives personnelles de Pouillon, des films publicitaires ou de propagande, des fictions tournées dans les grands ensembles, et aussi des images des bâtiments conçus par Pouillon que nous sommes allés filmer tels qu’ils sont actuellement.  Le travail de montage avec Victor Rojas-Ulloa était primordial pour éviter la confusion entre le passé et le présent. Nous avons par ailleurs travaillé avec des conseillers techniques en architecture ainsi que la dernière épouse de Fernand Pouillon.

Comment avez-vous appréhendé le travail de recherche d’images d’archives ? Aviez-vous une méthodologie particulière ?

J’ai commencé par faire des recherches seul. J’ai d’abord découvert les archives du Ministère de la reconstruction et de l’urbanisme qui produisait beaucoup de films après la guerre. J’ai alors contacté la médiathèque Terra mise à disposition par le Ministère de la Transition écologique qui possède désormais ces archives. Cela m’a permis de visionner une grande quantité de films produits et réalisés à l’époque pour communiquer sur la politique de reconstruction gouvernementale des grands ensembles. Nous avons utilisé ces images d’archives pour illustrer l’ambiance de l’époque. La proportion d’archives dans le film est importante. Pour s’y retrouver, on a dû constituer tout un corpus et les classer par thèmes, par lieux… 

Avez-vous rencontré des difficultés dans la réalisation de votre film ?

La qualité des archives audiovisuelles conservées au Ministère de la transition écologique n’était pas suffisante pour qu’elles soient utilisées dans un film documentaire. Je me suis alors dirigé vers les Archives nationales qui possèdent les bobines originales en 16mm des films que j’avais consulté sur Terra et dont j’avais besoin. Nous avons fait tout un travail pour renumériser ces archives audiovisuelles et ainsi pouvoir les utiliser dans mon film. J’ai fait appel à Marie-Dominique Plumejeau, documentaliste, pour m'aider. Les fonds des Archives nationales sont accessibles à tous et gratuites, ce qui constitue un sérieux avantage pour les productions documentaires.

D’autres projections sont-elles prévues ?

Bel Air Média, le producteur du film, organise des séries d’évènements autour du film : il sera prochainement projeté à Rodez, à Marseille… et à Belcastel (Aveyron) l’été prochain, où Fernand Pouillon avait réhabilité un château. L’objectif est d’organiser des projections dans les lieux où se trouvent des grands ensembles construits par Pouillon en France, en Algérie voire en Suisse et en Italie. On aimerait échanger avec les habitants de ces immeubles dont certains nous ont parfois aidé à tourner.

Le 2 novembre prochain, vous présenterez également votre projet en cours de réalisation La Malédiction de la Grande arche, de quoi parle le film ?

Le projet de film sur la Grande Arche a commencé juste après celui sur Fernand Pouillon. J’ai entendu parler du concours international d’architecture organisé sous François Mitterrand pour construire un bâtiment qui serait le symbole du quartier de la Défense. Johan Otto von Spreckelsen, architecte danois encore inconnu à l’époque, remporte le concours grâce à son projet de la Grande Arche que l’on connait aujourd’hui. Il n’avait jusque-là construit que sa maison et quatre églises. La pression qu’il doit endosser avec ce nouveau projet est colossale, si bien qu’il démissionne au cours du chantier et meurt avant l’achèvement des travaux. L’histoire de cet architecte m’a interpellé du fait de son parcours à la fois incroyable et tragique.

Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?

Tout le monde connait ce bâtiment. Il fait partie du paysage parisien. Pourtant, personne ne connait son histoire ni celle de son architecte qui pose la question des rapports entre le pouvoir et l’architecture. De plus, cela me plaisait de poursuivre la manipulation des archives à travers ce nouveau film. J’ai continué de travailler avec les mêmes fonds d’archives que pour Fernand Pouillon.

Pourquoi avoir choisi de présenter un projet de film et qu’attendez vous de la présentation de celui-ci ?

C’est la première fois que je présente un film en cours. C’est intimidant, mais il est toujours intéressant d’échanger avec le public. Peut-être que ces discussions auront une influence sur la fabrication du film.

 

Entretien réalisé par Agathe Boidé en service civique à la Cinémathèque du documentaire

Jeudi 2 novembre à 18h : présentation du projet de Jean-Marie Montangerand : La Malédiction de la Grande arche, en sa présence

à 20 h : projection en avant-première de Fernand Pouillon, l'architecte le plus recherché de France du réalisateur

ENTREE LIBRE

« Fernand Pouillon s’évade le 8 septembre 1962 de prison, après avoir été incarcéré suite à un retentissant scandale immobilier. Il devient ainsi l’architecte “le plus recherché de France”.  Pourtant, pendant 50 ans, il a construit plus de 5 millions de mètres carrés, souvent pour les plus modestes, en France et en Algérie.

La beauté et la qualité de ses cités prouvent aujourd’hui qu’il est probablement l’un des plus grands architectes du XXème siècle. »

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